Philosophie du sensible dans l’architecture domestique contemporaine japonaise

17/10/2022

Au XXe siècle, le Japon a connu des changements importants qui se remarquent notamment par les habitudes quotidiennes et les habitations qui ont rapidement évolué vers une occidentalisation des matériaux et des espaces de vie. Si au tout début de ce siècle, nombre de japonais vivaient encore dans des bâtiments peu différents de leurs aïeux, l'accélération rapide des changements s'est faite simultanément avec les interactions commerciales et technologiques que le pays entretint de façon plus intense, et ce, dès l'ère Meiji (明治時代) et accentué sous l'ère Taishō (大正時代), avec le reste du monde dont notamment les États-Unis et l'Europe. 

Les architectes du monde entier en ce début du siècle se sont précipités à découvrir les créations spatiales d'un pays déjà admiré depuis des décennies pour ces autres productions. Franck Lloyd Wright, Le Corbusier, Mies van der Rohe ou encore Charlotte Periand pour ne citer qu'eux, se sont nourri du vocabulaire japonais et y ont par la suite élaboré des méthodes d'aménagement plus ouvertes sans pour autant en prendre toutes ses composantes. L'influence réciproque entre le Japon et l'Occident est néanmoins mise en perspective par le célèbre écrivain Jun'ichirō Tanizaki (谷崎 潤一郎), qui, dans son ouvrage Éloge de l'ombre (1933), n'hésite pas à affirmer que les particularités uniques japonaises ne pourront jamais s'accommoder des technologies étrangères. À l'inverse, des figures comme Soetsu Yanagi ( 柳 宗悦) ont appelé à s'inspirer des différentes cultures, notamment de l'Arts and Crafts et des arts décoratifs japonais dont le mouvement Mingei découle. Il est également intéressant de s'attarder sur la notion de design dans le vocabulaire japonais, notion très utilisée dans le domaine architectural. Au Japon, elle se comprend en trois mots distincts: design (デザイン), qui relève de la forme de l'architecture, sekkei (設計), qui en est le plan et enfin ishou (意匠 ), son intention, c'est-à-dire, l'atmosphère et l'effet recherché. Le langage japonais fragmente chaque étape de la conception d'un objet avant même sa réalisation.

Mais si l'architecture japonaise de distingue de celle des pays occidentaux, c'est notamment par son utilisation historique de matériaux périssables tel le bois, qui produisent une architecture au renouvellement continuel. Ainsi, de par sa nature éphémère, les principes de modularité comme base de construction forment une exception et fascinent par leurs aspects matériels ainsi que spirituel où des résidus de ce patrimoine architecturale domestique, notamment connu par les machiya (町屋) ou « maison de ville traditionnelle » des bourgeois (souvent des marchands sous l'ère Edo) ont persisté dans ce qui forme une identité unique de l'architecture au Japon. Si l'ouverture forcée du Japon en 1853 par la flotte américaine de l'amiral Matthew Perry, annonçant la fin du Sakoku, a initié un modernisme occidental et une adaptation de modes de vies étrangères, l'identité de la maison japonaise reste toujours perceptible de nos jours. Dans son ouvrage Le sens de l'espace au Japon, Augustin Berque redéfinit bien l'importance des symboles propre à chaque culture, pont entre le sens et le non- sens. Ainsi pour mieux comprendre la spatialité japonaise, ce n'est pas seulement une étude purement architecturale sur lequel il faut se pencher, mais également sur la dimension sociétal, faite de rituels, de gestes et d'habitudes qui la régissent. Car l'architecture est une expression de l'art de vivre et l'utilisation de la « machine à habiter » ne reste pas moins un élément témoin d'une culture.

Dans ma représentation de l'architecture, je tente de créer un espace qui puisse être utile pour cette recherche sur soi. 

Tadao Ando

Entretien dans Esthétiques du quotidien au Japon, page 118 Sous la direction de Jean-Marie Bouissou, édition IFM Du Regard, 2014.

La société japonaise a subi de profond bouleversement ces dernières décennies, notamment par les changements économiques et sociaux des japonais. La répartition des rôles, économique aux hommes et domestique aux femmes, est peu à peu en train de laisser place à des familles plus diverses, souvent moins nombreuses que dans le passé, et ainsi laisse entrevoir ces mutations dans des créations architecturales nouvelles, adaptées à chaque foyer. La densité forte dans les villes crée des contraintes qui permettent une expression unique de chaque réalisation architecturale. La place limitée et les divisions de parcelles dans les années 90, ont fait des maisons contemporaines japonaises, qui sont en très grande majorité des maisons individuelles pour raisons ancestrale de sécurité (notamment incendiaires), un lieu de laboratoire des contraintes spatiales, dont la surface moyenne serait de 100 mètres carrés à Tokyo. La très grande diversité de ces maisons individuelles en fait un sujet extrêmement large et déjà bien étudié. Dans un pays qui a vu ses modes de vies changer, des méthodes structurelles plus sûres vis-à-vis des dangers sismiques, l'architecture japonaise moderne et contemporaine est un sujet de fascination dans le monde entier. L'habitat suit les modes de vies de ses habitants tout comme elle les encadre. En définitive, c'est l'humain qui est au centre la conception spatiale, il est à lui seul, cette unité dans lequel la construction se réfère.

BERQUE Augustin, Le sens de l'espace au Japon, Vivre, penser, bâtir, éditions Arguments, mai 2005, p.29.
20 maisons nippones : un art d'habiter l'espace, p.9.
POLLOCK Naomi, Maisons japonaises contemporaines, Édition PHAIDON, 2006. p.13. 

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